Le harcèlement et nos proches
Toute vérité n'est pas bonne à dire, et il est bon quelquefois de taire, du moins dissimuler autant qu'on le peut une réalité inaudible pour nos proches. Dans un premier temps on élude les questions pour les épargner, et nous soustraire du même coup à des silences qui s'avéreraient bien trop parlant, dénotant une suspicion plus cruelle encore que toutes les autres.
Qu'un agent de police ne croit pas à notre harcèlement, c'est une chose, mais que le scepticisme s'empare de nos proches quant à notre bonne foi, voila qui est proprement insupportable dans l'idée. Alors on jongle, on ne cesse de jongler avec les mots, les emplois du temps, les rendez-vous fictifs, afin de repousser une visite jusqu'au plus loin possible, en espérant fort que la persécution s'arrête d'ici là. Puis arrive un moment où on sent de l'inquiétude à l'autre bout du combiné, parce que notre voix n'a pas la bonne intonation, qu'elle est trop prudente, trop basse aussi, et parce que ces remises à plus tard systématiques commencent à bien faire, ainsi que la somme incalculable de rendez-vous manqués.
On repousse donc non seulement la venue de nos proches, mais les coups de téléphone aussi. Après, ils sera aisé à tout professionnel se penchant sur la question de dire que le harcelé se replie sur soi. Et pour cause ! Ce retranchement est quasiment inéluctable. Si nos psychologues, thésards et autres journalistes accordaient quelque crédit au harcèlement collectif et/ou en réseau, ils en découvriraient de bien belles et des meilleures, mais pour le moment ils surfent sur la vague du succès. Depuis 2011, c'est le harcèlement de rue qui a la part belle d'après ce qu'on peut en voir sur la Toile. C'est à la mode, traumatisant aussi le harcèlement de rue, pénible, réaliste, audible, tout ce qu'on veut, et cela existe depuis belle lurette. C'est donc très bien qu'on en parle. Pourquoi seulement depuis si peu de temps, reste la grande question. Toute forme de harcèlement mérite qu'on y prête la plus grande attention, mais pour certains plumitifs, disons que c'est plus facile de parler de cette forme de harcèlement parce qu'à peu près toutes les femmes y sont confrontées, la majorité donc, et que l'article va forcément payer !
En tant que femme, sans voiture qui plus est, donc utilisant les transports en commun à peu près tout le temps, le harcèlement de rue j'ai connu, je connais, et je n'ai pas fini de connaître. Non pas que je m'y suis habituée. C'est inconfortable, parfois humiliant, brutal, insultant, toujours déplacé, mais jamais cette forme de harcèlement n'a mis ma santé en danger ni ma vie. Le problème avec les harcelés en réseau c'est qu'ils se trouvent dans la minorité, et que leur persécution est un peu plus difficile à prouver. Cela demande un effort de compréhension, d'investigation aussi, et quelque pugnacité dans la durée qui ne correspond pas à la société d'urgence dans laquelle nous sommes censés évoluer. Bref, pas de quoi remplir les colonnes d'un grand journal donc !
Alors, on tait pour nos proches, pour leur propre bien-être, et on les prive de notre présence, et on se prive de la leur, attendant patiemment que des esprits un peu sémillants, résistants, courageux, daignent s'occuper de notre situation intenable, plutôt que de surfer sur le succès. On aimerait pouvoir renouer avec celles et ceux qui nous aiment, et réapprendre à vivre avec eux, mais pour cela il faudrait déjà que ce pour quoi on se bat soit reconnu par les élus, les professionnels de santé, les médias, et toute autorité digne de ce nom.
Avis aux suffisamment fous pour nous croire !