À l'arrêt de bus
Le jeudi je prends le bus de 13h23 pour retourner travailler l'après-midi. La semaine dernière j'ai particulièrement bien dormi, avec peu d'hostilités sonores et/ou douleurs, ce qui est assez rare et interpelant en soi. En me rendant à l'arrêt de bus ce jeudi là, j'éternuai trois fois. Allergique au pollen, il m'arrive souvent d'éternuer au printemps en passant dans cette rue, mais pas en automne. Néanmoins je me suis contentée de me dire que le changement de température y était peut-être pour quelque chose.
C'est une fois arrivée à l'arrêt de bus que je l'ai vue. Au départ, je ne l'ai pas vraiment reconnue, et regardé du coin de l'oeil pour enfin parvenir à la conclusion que c'était bien elle, la fille des harceleurs. Je me trouvais donc à deux pas de celle qui connait l'instrument qui sert à me torturer depuis huit ans. J'ai compris aussi très vite pourquoi la famille m'avait laissée dormir. Connaissant mes horaires par cœur, les parents savaient sans doute que j'allais me retrouver avec leur progéniture, et que la privation de sommeil, ainsi que les tirs d'ondes toujours plus douloureux n'étaient sans doute pas judicieux au moment où je devais prendre le bus avec leur fille.
Pendant toute la durée de l'attente de l'arrivée du bus, quelques minutes tout au plus, je l'ai regardé à la dérobée en essayant de relier ce visage de toute jeune fille encore presque poupon à la torture high-tech, la mienne, à laquelle elle participe sans ciller, et je n'y suis pas parvenue. Je ne vois pas comment c'est possible.
Dans le bus des copines à elles sont montées, et j'ai baillé bizarrement. Là encore, difficile à savoir si, comme les éternuements, c'était provoqué ou pas. Mon lecteur mp3 vissé sur les oreilles, j'ai tenté de penser à autre chose. J'aurais pu lui demander quel matériel était utilisé par ses parents, et pourquoi ? Si ce n'était cette fine frange de doute qui ne permet pas ce genre d'action, et le refus d'effrayer une gamine qui est conditionnée depuis toute petite à la maltraitance d'autrui. Je ne suis pas comme eux. Demander frontalement à cette adolescente pour une fois vulnérable face à moi, pourquoi je suis torturée, serait revenir à leur ressembler, à choisir la facilité à exercer un pouvoir sur quelqu'un de démuni, et ça, non, pas question.
Les parents de cette jeune fille devraient avoir honte de l'envoyer quelque part au charbon. Elle est plus courageuse qu'eux. C'est bien pour ça que je me voyais mal exiger d'elle des explications sur une violence dont ses planqués de parents sont les premiers responsables. Facile à dire quand on a dormi. Et si tel n'avait pas été le cas ? Dans quelle mesure aurais-je pu me retenir de ne pas la molester ? Je ne préfère pas penser à cette idée.