Mon chauffe-eau
Un pouvoir high-tech allié a des crétins ne donne généralement pas de résultats encourageants d'un point de vue éthique. C'est scolaire, débile et nul. Pour d'heureux parents de nombreux enfants ça la fout mal, avec ce sentiment d'irréversible dans la médiocrité laissée par l'empreinte familiale.
Entre mes délétères voisins du 1er étage et mon chauffe-eau, c'est une histoire d'amour qui dure depuis plus de six ans maintenant. Le déclencher de manière impromptue, avec ce petit clic caractéristique de l'appareil qui entame son cycle, a toujours fait partie de leur satisfaction crasse. Je pense que ce petit régal à l'instant T, équivaut à peu près à ce qu'on peut ressentir sur les réseaux sociaux aux "likes" alloués après publications, une petite poussée de sérotonine, et l'auto-gloriole qui suit. Sauf que dans le cas du déclenchement de mon chauffe-eau, il y a ce petit ronronnement de plaisir bonifié par le pouvoir de régenter tous les appareils électriques d'un logement qui ne nous appartient pas. Rien de virtuel là-dedans, juste une accumulation de pourritures formant une pyramide humainement condamnée quoi qu'il en soit.
Récemment, j'ai donné, malgré moi, l'occasion à mes voisins d'exulter. Suite à un relevé de consommation énergétique, j'ai constaté que le chauffe-eau puisait plus en KWatt que le chauffage. Problème. J'appelle donc mon fournisseur. Un conseiller conforte mes doutes concernant une recharge du ballon d'eau chaude en heures pleines, plutôt qu'en heures creuses. N'ayant pas de programmateur sur ce ballon, le conseiller, pour être sûr que le problème de surconsommation vient bien de l'heure de chauffe, me charge d'écouter vers 23h30 si le ballon produit le clic signalant normalement l'heure de son cycle en heures creuses. J'étais prête à lui répondre que ce sont mes voisins qui décident, mais je me suis ravisée.
Je vous laisse imaginer, après ma communication téléphonique, la perpétration par mes très chers voisins des clics, pour le coup d'une rare intensité, le matin, le midi, le soir sur mon pauvre chauffe-eau, histoire de brouiller les pistes pour moi. Une fois de plus, la démonstration de ce petit pouvoir chéri par une bande de détraqués planqués derrière l'apparence d'une gentille famille n'est plus à faire.
En début de semaine, j'ai croisé l'ado, avec un manteau de femme d'un blanc immaculé. J'étais en colère. Pendant une poignée de secondes, il semblerait que ce soit moi qui ait eu le pouvoir, avec sans doute une plus grande satisfaction que la leur, à ne pas en abuser. Est-ce que seulement les parents s'en sont aperçus ? Pas sûr, en attendant ils continuent de jouer au loup, jusqu'au jour où...