La minute de la haine*
"[...]Lorsque la Haine eut pris fin, il retourna à sa Cellule. Il prit sur une étagère le dictionnaire novlangue, écarta le phonoscript, essuya ses verres et s’attaqua au travail principal de la matinée. […]"
Georges Orwell, 1984*.
Lorsque le harcèlement est particulièrement intense, je repense souvent à des extraits de ce livre visionnaire, soumettant le plus grand nombre à une dictature (Big Brother), laquelle punit au-delà de l'imaginable les résistants à leur asservissement mental. La minute de la haine dans 1984, autorise en quelque sorte les plus serviles (travailleurs moyens) à se lâcher, et à choisir un bouc émissaire, réel ou imaginaire sur lequel s'acharner. J'y vois forcément là, une similitude avec les harceleurs, citoyens respectables, se permettant par cet odieux truchement de se distancier d'une existence ordinaire, en se croyant maître, et exerçant un pouvoir de maltraitance, ne fut-ce que sur une seule personne.
Dans 1984, ce n'est pas pour rien que seuls les travailleurs moyens ont droit à leur minute de haine, les prolétaires sont quant à eux, totalement exclus de ce programme. A l'instar de la caste intermédiaire, mes voisins s'autorisent donc à s'acharner sur celle, dont le profil n'appartient pas à leur statut, mais végète au sein de cette "sous-classe s'entassant dans des quartiers sales", dixit G. Orwell dans son roman. F2 au rez-de-chaussée pour moi, ne correspondant pas vraiment aux différents F4-F5 avec grands balcons trônant au-dessus de ma tête. Je ne dirais pas que cette différence de classe sociale est LA raison de mon harcèlement, mais que c'est un élément à prendre en compte dans son déroulement, sa fonction, son but.
L'auteur envoie là, une sorte de message subliminal, un uppercut de l'inconscient, lequel, pour la harcelée que je suis, se fait jour bien des années après avoir lu son livre. De même que mes voisins réagissent par des "Cui-Cui !" sortis tout droits de leur matériel high-tech, dès lors que je les interpelle sur leur lâcheté, je pressens au travers de ces sons débiles et pré-enregistrés, toute l'absence de communication, le vide abyssal trônant en lieu et place du cerveau de ce couple de citoyens ordinaires qui me persécutent, et un novlangue* volatile, "Cui-Cui !", donc, pour toute réponse à leurs actes abjects. Leur subordination m'écoeure à peu près autant que leur lâcheté, et je n'ose même pas imaginer ce qui attend les résistants de demain, au vu des réformes germant un peu partout, et préparant ainsi le terrain pour un futur asservissement des masses. Il est encore temps de réagir... peut-être.
"[…] Pendant les Deux Minutes de la Haine, il ne pouvait s’empêcher de partager le délire général, mais ce chant sous-humain de « B-B !… B-B !… » l’emplissait toujours d’horreur. Naturellement il chantait avec les autres. Il était impossible de faire autrement. Déguiser ses sentiments, maîtriser son expression, faire ce que faisaient les autres étaient des réactions instinctives. Mais il y avait une couple de secondes durant lesquelles l’expression de ses yeux aurait pu le trahir. […]"
G. Orwell, 1984.
Encore une analogie avec ce que je vis d'une certaine façon. NE PAS sourire, NE PAS souffler, NE PAS se gratter la tête, NE PAS éternuer, NE PAS parler, NE PAS broncher, DEGUISER ses expressions donc, sous peine d'une décharge électromagnétique envoyée par cette micro-dictature représentée par une gentille famille de détraqués, aucunement inquiétés par les autorités, sous le prétexte qu'ils répondent à la norme, soumis parmi les soumis.
En aucun cas, la popularité de ce livre et tout ce qui en a été dit, voire galvaudé, ne doit nous faire perdre de vue l'essence même de son contenu.
*Novlangue : Langage dont le but est l’anéantissement de la pensée, la destruction de l'individu devenu anonyme, l'asservissement du peuple.