Dialogue avec un harceleur
Il était venu vers moi quelques semaines après mon emménagement. Il m'avait tout de suite tutoyée et je l'avais plutôt bien pris, tutoiement instantané propre aux personnes de couleur et dont j'apprécie le sens du contact. Je ne m'étais pas méfiée.
Lui : "Désolé, je suis garé devant chez toi, mais je croyais que c'était un garage. Ça fait trois ans que j'habite là, je n'avais pas remarqué que c'était un logement."
Moi dans mon boudin, je m'étais dit qu'au bout de trois ans et étant donné qu'il y avait un locataire avant moi il devait le savoir, mais bon, il me parlait gentiment.
Moi : "Tu habites où ?"
Lui : "De l'autre côté de l'immeuble. A part ça, ca va ?"
Moi : "Oui, mais j'ai l'impression de déranger ici."
Lui : "Normal, il y a beaucoup de personnes âgées."
Moi : "Oui, mais je ne fais rien de mal chez moi."
Lui : "Oui, j'en doute pas. Bon j'y vais. Bonne journée."
Moi : "Merci, toi aussi."
Puis il avait disparu, et réapparu seulement au bout de plusieurs mois, l'été dernier. Je l'ai croisé à nouveau devant chez moi avec une ribambelle d'enfants à ses côtés. Je l'ai reconnu à sa démarche décontractée, et à cet espèce de boitier à l'oreille qui lui permet d'être connecté en permanence. Le type est toujours aussi cool. Trop Coooool !!!
Lui : "Salut, comment tu vas ?" (genre je t'ai vue hier).
Moi : "ça va... (après l'avoir reconnu grâce au boitier)euh... tu étais parti ?
Oui : "à La R. Je ne sais pas si je vais y retourner, ou vivre ici." (trop cool le type, trop "IN" hein ?)
Bref on échange quelques banalités, jusqu'à ce qu'il se mette à parler à son boîtier, décidément hyperconnecté, comme si le monde entier ne pouvait lui échapper, c'est clair qu'il est là où ça se passe.
J'ai attendu qu'il termine sa conversation avec le fantôme à l'autre bout du boîtier, puis je lui ai souhaité bonne soirée. Lui de même, et il disparu, pour tout l'hiver, jusqu'au printemps dernier, où je vois une bonne grosse BMW noire se garer bien près de ma porte. Je peux entendre la sono de sa voiture de mon logement.
Pourquoi les jeunes types branchés qui ont des BMW se sentent forcés de mettre la musique à fond ? Mystère.
J'ouvre ma porte.
Lui : "Tiens, salut ! Ouais, je sais je suis garé super près de chez toi, ça me fait chier mais pas de place ailleurs tu comprends ?" (un pote à lui sans doute descend côté droit).
Moi : "Oui, bien sûr, mais c'est au cas où j'ai des livraisons. Ensuite, je suis harcelée ici de manière intensive, et ces allées et venues me perturbent."
Lui : "Ah ouais..." puis il change de sujet. (pas curieux le mec).
Moi : "pas grave, maintenant je connais ta voiture, je saurais que c'est toi." (Il en avait changé, de voiture, depuis la dernière fois).
Lui : "Ecoute, si un jour ma bagnole te dérange pour une raison ou une autre tu n'as qu'a sonner au nom de B... sur l'interphone et je viendrais la déplacer."
Moi : "Ok, je note."
La semaine dernière, après une nuit particulièrement sadique en matière de tirs d'ondes électromagnétiques, je décide au petit matin d'aller frapper au premier étage à l'appartement d'où vient mon harcèlement, pour voir de près à quoi ressemble un taré. J'étais calme, je voulais régler mes comptes, un point c'est tout. Arrivée à l'étage, au moment d'appuyer sur la sonnette j'ai vu le nom collé à côté : B...
Sidérée, j'ai préféré redescendre sans sonner. C'était bien le dernier nom que je pensais voir inscrit sur cette porte d'entrée.
Vous croyez que le type qui ressemble au capitaine Kirk avec son boitier high-connected habite ici ? Nan, ce serait trop facile... Et mamie-gâteau dans tout ce cirque ? Ben elle est toujours là. Il faut bien favoriser les relations intergénérationnelles.