Rester digne

  Entretenir son logement, continuer de s'entretenir soi-même reste difficile quand la fatigue, l'espionnage et les répliques au moindre mouvement sont permanents et systématiques. C'est pourtant fondamental, un véritable pied de nez fait au harcèlement que de rester coquette en ce qui me concerne, enfin d'essayer.

  Je dirai même que je multiplie les petites attentions à cet effet. Bref, je m'applique, car je sais qu'au bas mot, quatre paires d'yeux inspectent non seulement mes allées et venues, mais mon aspect, à la recherche du moindre indice qui pourrait laisser supposer aux harceleurs que leur sadisme porte ses fruits.

  Rien que de penser cela me pousse à d'autant plus prendre soin de moi. Je continue de leur parler à travers les murs car je sais qu'ils m'écoutent, je pouffe à l'occasion, improvise une analyse de leur comportement, et les coups de perceuse s'invitent alors au bataillon, seul langage qu'ils semblent connaître, engoncés qu'ils sont dans la malveillance.

  Leur banalité m'effraie presque, tant je sais ce qu'elle possède de transitoire, de passager, alors que même si ma persécution s'arrêtait maintenant, mon retour à la vie demanderait quant à lui, des années. Comment se fait-il donc que l'existence d'individus d'une telle insignifiance, puisse avoir une telle répercussion sur la vie d'un autre ? Une telle conséquence ?

  Françoise Sironi, dans son livre "victimes et bourreaux", toutes proportions gardées bien sûr avec ce que nous vivons, mentionne un élément qui a son importance concernant la mise en place d'un système de tortures perpétrées à l'encontre d'individus récalcitrants à l'ordre social en place, et préalablement évalués sous hypnose :

"Le 22 juillet 1976 débuta à Paris le 21e congrès international de psychologie. Un psychologue soviétique, Volodina, y présenta une communication intitulée : "De l'utilisation de l'hypnose concernant la motivation prosociale." Le concept de "motivation prosociale" fonctionnait alors comme un véritable opérateur idéologique dans les pays de l'Est. Il a été élaboré par des psychologues en Pologne. Il leur fallait créer un concept nouveau, quantifiable, qui puisse être en mesure de rendre compte de la présence ou de l'absence, chez un sujet donné, d'attitudes, d'opinions et de comportements socialement acceptables et socialement utiles.

Tout concept a une histoire. Il apparaît dans un contexte donné, à un moment donné non seulement de l'histoire de la discipline, mais également du contexte sociopolitique. Dans toute société, des comportements et des manières d'être au monde sont stigmatisés et marginalisés car ils ne sont pas "compatibles" avec les modes de production et les modes de pensée dominants de cette société, à un moment donné de son histoire."

Pour ma part, je ne peux y voir concernant mon harcèlement, qu'une criante illustration de mon incapacité à adopter un comportement socialement acceptable.