Harceleurs tisserands

  Récemment, dans le hall d'entrée d'un immeuble, j'ai pu lire un mot sur le panneau d'affichage consacré à cet effet, de la part de Mme X, sommant Mme Y d'arrêter de hurler toutes les nuits de 2 h à 3 h du matin, sinon elle en référera à la police. Le mot est concis, mais suffisamment clair quant à ses intentions, et se termine par "A vous de voir ?" avec un point d'interrogation.

  Pas vraiment cordial, mais je lui ai cependant trouvé un caractère humain. Il y a un motif dans ce mot, un avertissement, bref, une tentative d'aller au mieux, ce qui manque cruellement à des individus qui s'adonnent au sadisme sur leur voisin, sans même au préalable avoir tenté de communiquer avec lui, et sous le fallacieux prétexte qu'ils seraient dérangés. Voyons-y plutôt un sentiment de toute-puissance à maltraiter quelqu'un qui nous est étranger, et d'apparence une proie facile sur laquelle exercer un petit pouvoir, manquant sans doute cruellement à tout individu ordinaire enclin à la persécution, à défaut de.

  En rentrant chez moi et continuant de réfléchir au petit mot de l'immeuble, je croise un vieux monsieur, lequel me dit bonjour avec méfiance, salut auquel je réponds d'un bref hochement de tête, le visage fermé à double tour. Il est bien évident que ce vieil homme est sans doute à mille lieues de savoir ce que signifie le terme "harcèlement électromagnétique", et qu'il semble de prime abord aux antipodes d'en connaître le manuel, son utilisation et ses conséquences dévastatrices.

  C'est là précisément que le harcèlement fait montre de toute son efficacité, quand la personne ciblée n'est plus à même de discerner ceux qui lui veulent du mal, de ceux qui ne lui veulent rien du tout. Elle préférera de loin s'abstenir de tout salut, plutôt que risquer de mettre ne serait-ce qu'une bribe d'aménité à disposition de celui qui peut-être participe à sa maltraitance. C'est une erreur, car cela conforte la rumeur, laquelle veut que la personne ciblée ne soit pas fréquentable.

  J'ai, ce matin, probablement donné raison à cette rumeur, dans un hochement de tête dépourvu de toute affabilité envers un vieil homme déjà suspicieux. C'est ainsi que l'araignée finit de tisser sa toile.