Anthropologie de la persécution collective ou quelques faits divers
Si le harcèlement et la persécution collective ont toujours existé, ils ont évolué avec le temps, sans pour autant que l'homme se déleste de son sadisme ordinaire, mais au contraire l'adapte au progrès, et à son évolution. Que ce soit envers une minorité ethnique, religieuse, ou envers un seul individu, différent de par son statut physique, comportemental, ou social, l'engagement du groupe vers une même voie lui confère sa toute-puissance, et l'autorise aux pires excès. Aussi, l'unanimité des éléments formant le groupe peut émerger à tous les âges et dans toutes les classes sociales, à partir du moment où le bouc émissaire a été désigné comme cible. Ci-dessous quelques exemples des persécutions les plus féroces qui ont jalonné l'histoire. Le plus laborieux ayant été de faire des choix parmi la multitude.
La persécution de masse - La chasse aux sorcières
Entre le XIIIe et XVIe siècles, un mouvement de persécution de grande ampleur se déroula essentiellement contre les femmes, et tout fut bon pour que la bien-pensance de l'époque condamne au bûcher toutes celles qui n'étaient pas dans les clous. Les veuves, les femmes isolées, prostituées, athées, lesbiennes, guérisseuses, possédant quelque biens en terre ou espèces, indépendantes, etc. furent bannies par un certain nombre de personnes tout à fait convenables, représentant l'église en premier lieu, puis villageois alentour par appât du gain, ou parce que la récolte de l'année avait été mauvaise, ou encore par misère sexuelle, se coalisaient contre la femme seule du village afin de soulager leur colère contre la météo, ou leur frustration sexuelle.
Bref, même si un certain nombre d'hommes furent également conduits au bûcher pour le plus souvent une broutille, la grande chasse aux sorcières menée essentiellement par l'église et contre les femmes, rassemblant un nombre conséquent de brebis, fut l'un des effets de groupe le plus meurtrier de l'histoire, en menant au bûcher près de 100 000 femmes grâce à la complicité des bonnes âmes, les femmes suppliciées ayant bien évidemment toutes forniqué avec le diable, pour nos bons croyants de l'époque, bardés de vœux pieux.
Dans une moindre mesure, le rassemblement d'individus contre la différence, sans parler de l'effet de groupe à l'échelle d'un continent, ou d'un pays guidé par une autorité quelconque politique ou religieuse, mais en ramenant celui-ci à l'échelle d'une ville, d'un village ou d'un quartier, a chaque fois mené à des excès dont les conséquences ont toujours été disproportionnées comparées aux véritables raisons du rassemblement et la persécution. Plusieurs exemples nous le montre à tous les moments de l'histoire.
La persécution de la minorité - Le riche
Alain de Monéys
En France, en 1870, dans un contexte de guerre, les habitants de Hautefaye, lors d'une fête de village au mois d'août, prirent le notable du lieu, Alain de Monéys pour un prussien parce que ce dernier aurait crié "A bas Napoléon", propos qui s'avéra totalement erroné, mais le prétexte était trop beau. La rumeur grossit à tel point que la quasi totalité des villageois décidèrent de lyncher le noble, et s'accordèrent pour faire durer le plaisir en le torturant. Ils s'acharnèrent sur lui pendant des heures, et après sa mort, portés par la passion du groupe et le déchaînement, ils entreprirent de manger le cadavre.
La persécution raciale - Thomas Shipp et d'Abraham Smith
Plus récemment, on assiste aux Etats-unis à une période de lynchage, essentiellement pour raisons racistes. On estime à 4000, le nombre de victimes noires, lynchées à mort au pays d'Oncle Sam entre 1877 et 1950. On retiendra notamment, en 1930, l'assassinat en bon et dûe forme de deux adolescents Thomas Shipp et Abraham Smith, accusés d'avoir violé une femme, lynchés puis pendus au premier arbre trouvé, par les habitants déchaînés d'un petit village de l'Indiana, lynchage mené en premier lieu par les femmes et les enfants du village, et bien sûr soutenu par la police locale.
Photo prise juste après la pendaison de T. Shipp et A. Smith.
Ce n'est pas joli à voir, mais je la diffuse pour l'image des protagonistes ayant participé à ce crime odieux. Eh non ! Aucun monstre à l'horizon sur cette image. Cela en arrangerait bon nombre de voir quelque profil tortueux, le visage suspect, une tenue négligée, bref l'apparence du marginal. Mais non, rien que de bons citoyens, en bras de chemise pour les hommes, et robes printanières pour les femmes. Sur la gauche, un homme avec une chemise blanche et cravate sourit, un moustachu montre du doigt, sans doute au photographe, le trophée gagné par les villageois. Pas de visages horrifiés non plus, mais plutôt placides dans l'ensemble, comme à une fin de fête.
La persécution de la minorité - Le pauvre
En France, en 2007, deux adolescents de 17 ans, et deux autres de 14 ans ont brûlé vif un sans domicile fixe de 51 ans, après l'avoir aspergé d'essence. Difficile de connaître les raisons de leur acte, ils ont été incapables de s'exprimer.
La persécution de l'apparence – William Modolo
En France, en 2006, l'affaire W. Modolo suscite l'intérêt pour l'étonnante variété de ses tortionnaires et assassins. L'effet de groupe ayant fonctionné à merveille pendant cette triste histoire, et n'obéissant à aucune règle autre que celle du groupe. William, jeune homme blanc, en difficulté scolaire, et en peine d'amis en raison de son surpoids, pensera trouver un peu d'affection en cotoyant un repris de justice et sa petite amie, une assistante maternelle, un fils d'avocat toxicomane, et un sdf. Tout ce petit monde traînant ensemble et composé d'une tranche d'âge de 22 à 55 ans environ, ont torturé le jeune William pendant des jours, pour finir par l'achever à coup de pierres.
La persécution ethnique – Kevin et Sofiane
En 2012, le lynchage de Kevin et Sofiane, deux adolescents de la banlieue grenobloise, connaît un retentissement médiatique énorme en raison de la férocité des actes en comparaison des causes. Pour un mauvais regard, deux jeunes d'un quartier seront poursuivis et lynchés à mort par une bande de jeunes d'un quartier rival. Bref, là aussi seul l'effet de groupe permet la disproportion des conséquences en comparaison des faits.
La persécution de l'être vulnérable - Les handicapés et personnes âgées
En février 2014, toujours en France, trois adolescents furent jugés pour avoir maltraité et filmé un handicapé pendant leurs méfaits. Là encore, on imagine mal, un adolescent seul commettre ce genre d'acte, à part cas exceptionnel, seul le groupe permet l'odieux.
Tout récemment, en janvier 2016, trois lycéennes, en stage dans une maison de retraite ont maltraité des personnes âgées atteintes de la maladie d'alzeihmer, et filmé leurs méfaits là aussi sur les réseaux sociaux.
Les cas de maltraitance dans les maisons de retraite sont pléthore. Posons-nous la véritable question de savoir ce qui permet de tels actes, autre qu'en réfléchissant sur les problèmes économiques, le manque d'effectif etc, qui pourraient en être à l'origine.
Bref, des persécutions collectives il n'y a que cela, sans forcément qu'elles aient lieu dans un contexte de guerre. Il est donc grand temps de laisser les stéréotypes qu'on a du parfait assassin de côté, afin de se pencher sur ce que tout citoyen convenable ou non, est en mesure de commettre comme ignominie, à partir du moment où il se trouve soumis à une autorité, et/ou une influence collective. La question est de savoir ce qui fait que certains individus, une minorité malheureusement, résistent à commettre le pire, afin d'apprendre d'eux, et de s'en inspirer.
Si le harcèlement de groupe et/ou en réseau connaît un tel succès, c'est bien parce que le comportement moutonnier a toujours prédominé sur le raisonnement, et que l'histoire n'a pas réussi à l'endiguer, malgré des siècles d'évolution. Pour qu'on arrête de mener au bûcher de pauvres gens, il a bien fallu un jour qu'on remette en cause la véracité des effets de la magie.
A l'heure où le harcèlement sous toutes ses formes, qu'il soit moral, sexuel, scolaire, professionnel, en réseau, explose de férocité et fabrique des suicides à la pelle au sein d'une société anxiogène particulièrement propice à la persécution collective, et où le succès du selfie n'est plus à démontrer, il est urgent que l'homme s'émancipe, retrouve sa liberté individuelle, et celle de penser par lui-même, afin que l'union le mène à son épanouissement et non au crime.