Consumer
Si le harcelé peut s'accommoder de certaines nuisances faute de pouvoir s'y soustraire, il y en a d'autres auxquelles il ne se fait jamais. Le groupe, composé de rongeurs invétérés, profondément ancrés dans la malveillance, permet le renouvellement permanent de ses membres et de leurs actions sans que cela ne les perturbe, chacun étant amené à oeuvrer ponctuellement, à un instant précis, lequel n'aura pas vraiment d'incidence sur leur vie puisqu'une fois cet instant passé, le harceleur pourra vaquer à autre chose, poursuivre sa petite existence d'individu parfaitement intégré, assimilé socialement, se mouvant parmi la foule, s'autorisant même, à l'instar du plus grand nombre, à être outré des dernières nouvelles crachant ses morts sur le petit écran, ou ayant ce sentiment satisfait d'avoir aidé une personne malvoyante à traverser la route.
C'est le problème avec les harceleurs, leur arme est invisible, leur action fractionnée, laissant leur conscience le plus souvent intacte. C'est bien simple, on leur donnerait le bon dieu sans confession, d'autant plus quand les harceleurs sont composés essentiellement de personnes d'un certain âge, bardées d'une retraite toute neuve qu'il faut bien occuper, et d'un temps libre quasiment illimité qui ne demande qu'à se remplir.
La victime, prise pour cible par le nombre, n'aura quant à elle aucun moment de répit, chaque instant étant consacré par un des harceleurs à lui nuire. Plus le nombre sera conséquent, moins les harceleurs auront conscience de la portée de leurs actes, chacun de ces actes étant dissipé dans un laps de temps limité. La cible, acculée à l'épuisement, n'aura aucun échappatoire, le moindre de ses mouvements sera épié, disséqué, systématiquement validé par une réplique, parce qu'il y aura toujours quelqu'un pour être là, guettant au trou avant de laisser sa place à un autre, et puis un autre, et puis un autre...
Chacun de mes passages aux toilettes est suivi d'un bruit de moteur d'avion, dans ma chambre ce sont des tics, dans ma salle d'eau des glouglous de la douche et du lavabo censés être muets quand l'eau n'a pas coulé depuis un moment, dans la cuisine des voitures se relaient systématiquement devant la fenêtre, quand je sors, des roucoulements de tourtetelles me saluent, quand je rentre, c'est plutôt les goélands, la nuit ce sont les ondes, au réveil de multiples passages de roues sur la plaque d'égout etc. etc. etc. Peu importe ce qui se passe dans le monde, des tremblements de terre aux attentats, la famine, les réfugiés, rien ne saurait empêcher les harceleurs de faire acte de présence, comme si leur vie ne pouvait se passer de ces petits actes assassins mis en place avec une précision d'horloger, comme s'ils se devaient d'appliquer les règles d'un nouveau contrat de travail, avec cette satisfaction peinte sur leur visage une fois la mission accomplie, comme s'ils se sentaient utiles en ruinant la vie de quelqu'un !
Il y a décidément quelque chose d'inégal dans la persécution du groupe contre un seul.